Pourquoi innover ?

Pourquoi les entreprises innovent mais aussi pourquoi beaucoup hésitent à innover de manière radicale ?  Nous analyserons les sources sur lesquelles s’appuient les entreprises pour innover en nous intéressant à un débat de référence entre primauté des découvertes scientifiques et techniques vs demande des consommateurs.

2. Le processus d'innovation est coûteux et risqué

2.1. Le processus d’innovation est coûteux à chaque étape



Coûteux en dépenses de R&D pour concevoir le nouveau produit, coûteux en nouveaux équipements pour le produire, en investissements divers pour utiliser le nouveau matériau ou le nouvel intrant en général, pour implémenter le nouveau procédé ou la nouvelle organisation du travail.

Les coûts engendrés par le développement d’une nouvelle génération de microprocesseurs dépasseraient ainsi 1 milliard de $. Même ordre de grandeur pour la mise au point d’un nouveau médicament ou le lancement d’un nouveau modèle d’automobile.
L’innovation peut impliquer de réorganiser la chaîne d’approvisionnement, avec tous les investissements et coûts de transaction [Les coûts de transaction - évoqués dès 1937 par l’économiste Ronald Coase dans son article The Nature of the Firm - sont les coûts supportés par les participants à une transaction marchande. Ses coûts sont constitués par les coûts de recherche et de traitement des informations (prix, qualité, etc), les coûts de négociation et d’établissement des contrats commerciaux et les coûts de contrôle de l’exécution du contrat.] induits. Il faudra recruter de nouvelles compétences, lancer des campagnes de communication importantes pour faire une place au nouveau produit sur le marché, etc.
Toutes ces dépenses sont largement indépendantes du succès ou de l’échec de l’innovation, ce sont des coûts fixes qui ne dépendent pas du volume de production réalisé, de la quantité de produits qui sera finalement vendue. Même si certains de ces investissements ou embauches seront en partie adaptables à d’autres fins, nous pouvons qualifier ces coûts d’irrécouvrables (sunk costs en anglais) : ils grèveront définitivement le budget de l’entreprise en cas d’échec ou de retrait.

L’histoire fourmille d’innovateurs ruinés par une innovation à succès, les charges financières de l’investissement initial apparaissant bien plus tôt que les gains espérés par l’innovation qu’ils avaient conçue. On pourrait citer André Citroën, le Henry Ford français, qui dût revendre son entreprise en 1934 avant que sa Traction Avant ne s’impose comme une référence en termes de produit et de process.

L’ innovation est risquée

Au-delà du coût le problème essentiel de l’investissement innovant est celui de son incertitude.

L’innovation est coûteuse, elle est surtout hasardeuse. Incertaine par nature. C’est toujours un pari risqué. La très grande majorité des projets d’innovation – surtout les plus radicaux - sont des échecs.

Le nouveau produit sera-t-il un succès ?
Dans le cas d’une innovation-produit, l’incertitude radicale concerne d’abord l’intérêt du consommateur pour ce nouveau produit ou service.
Si pour certains la nouveauté est en elle-même attractive, le plus souvent le nouveau produit perturbe le client qui a des habitudes de consommation. Observez les rayons alimentaires de vos supermarchés, ils foisonnent de produits qui seront retirés du marché dans 3 ou 6 mois, faute d’avoir rencontré une demande suffisante.

Pour l’entreprise le risque commercial peut prendre des formes plus subtiles. Celui de la cannibalisation par exemple : le nouveau produit censé étendre la gamme et augmenter le chiffre d’affaires de l’entreprise peut – en cas de succès - prendre des parts de marché aux autres produits de l’entreprise et non aux concurrents.
En cas de substitution du nouveau produit à un produit plus ancien, l’entreprise peut même perdre des parts de marché, le client arbitrant entre le produit nouveau et l’ensemble des produits concurrents.
Le nouveau produit peut même brouiller l’image de l’entreprise, ce qui rejaillira sur l’ensemble des produits de sa gamme.

L’implémentation risquée des nouveaux modes de production

En ce qui concerne les innovations de procédé, le risque est en premier lieu technique : un nouveau procédé est encore souvent fragile, imparfaitement maîtrisé.
Le passage du prototype à la production industrielle (le « passage à l’échelle »), la montée en charge des équipements, font généralement apparaître des difficultés imprévues, parfois insurmontables.

Le contexte peut aussi limiter les avantages du nouveau process comme le montre Bela Gold et son équipe à propos de l’introduction de la fusion continue dans les aciéries dans les années 1960.
Les compétences pour le mettre en œuvre peuvent faire défaut, les personnels peuvent avoir des difficultés à s’adapter aux nouvelles techniques.

La nouvelle manière de produire peut même susciter des résistances violentes. On se souvient du luddisme, cette révolte d’artisans qui brisaient les machines au début de la Révolution industrielle anglaise.
Dans les années 1970 la photocomposition et l’offset transforment le travail des imprimeurs au point de déqualifier brutalement cette aristocratie ouvrière essentiellement masculine, provoquant des conflits sociaux parfois très durs.
Même constat en ce qui concerne les innovations organisationnelles qui modifient les qualifications, les statuts socio-professionnels, les hiérarchies internes, etc.
La mise en place du taylorisme et du fordisme, en déqualifiant les métiers ouvriers traditionnels, se heurtèrent à des difficultés qui ne furent résolues que par le recrutement de personnels dépourvus de toute expérience industrielle, d’immigrés dans les usines Ford de Detroit, de ruraux pour les industries françaises de grande consommation dans les années 60. Les transformations inspirées par le modèle toyotien de la lean production se heurteront aux États-Unis aux mêmes résistances des salariés et de leurs organisations syndicales. Ceci explique la migration industrielle vers des territoires plus « compréhensifs » : l’installation de Toyota dans le Vieux Sud rural, la délocalisation des firmes américaines vers le Mexique pour y tester les nouveaux concepts organisationnels dans de nouvelles usines.