Pourquoi innover ?
Pourquoi les entreprises innovent mais aussi pourquoi beaucoup hésitent à innover de manière radicale ? Nous analyserons les sources sur lesquelles s’appuient les entreprises pour innover en nous intéressant à un débat de référence entre primauté des découvertes scientifiques et techniques vs demande des consommateurs.
1. L'innovation, moteur de croissance pour l'entreprise
1.3. L’avance irrésistible du pionnier.
L’avantage du « first mover » (celui qui innove le premier) ne se réduit pas à sa rente provisoire de monopoleur. Il prend souvent une avance irréductible sur ses concurrents, même si les imitateurs bénéficient inévitablement d’un coût d’entrée réduit. Il bénéficie à plein des baisses de coûts engendrées par la courbe d’apprentissage (learning curve). Au plan qualitatif, le pionnier accumule une expérience, des compétences qu’il pourra réutiliser pour maintenir son avance technologique et concevoir de nouvelles innovations.
L’exemple du marché des monospaces (années 80-90)
Prenons l’exemple de l’évolution du marché des monospaces créé par l’arrivée de l’Espace, le premier monospace lancé par Renault-Matra en 1984.Même s’il a été rapidement imité par ses concurrents (alliances PSA-Fiat et VW-Ford), Renault a pu sur la base de ce succès améliorer son produit (versions nouvelles) et surtout ouvrir de nouveaux créneaux originaux : celui des monospaces compacts avec le Scénic et celui des mini-monocorps avec la Twingo, trouvant ainsi de nouveaux relais de croissance à partir de l’innovation originelle.
Sustaining innovations
L’innovateur est ainsi à l’origine d’innovations induites, ce que Clayton Christensen nomme « sustaining innovations » au sens où elles confortent la structuration de l’industrie. Dans les années 90 Sony apporte plus d’une vingtaine d’améliorations à son walkman, maintenant l’avance sur ses imitateurs malgré un prix plus élevé. De la même manière, depuis le milieu des années 2000, Samsung maintient sa position de leader par un flux ininterrompu d’innovations incrémentales sur le marché des téléphones ou des écrans TV.La démarche d’innovation va ainsi permettre à l’entreprise de développer sa base de connaissances et son réseau d’information, par exemple en assurant des partenariats avec les laboratoires de recherche.
Le first mover est aussi celui qui crée le produit de référence, le standard, qui instaure les règles du marché qu’il impose à ses clients, à ses fournisseurs, à ses concurrents. Des règles qui lui conviennent, qui correspondent à ses compétences, à ses ressources spécifiques, aux complémentarités qu’il maîtrise.
On peut considérer comme Neil Fligstein qu’il « crée » ou qu’il « fabrique » le marché en imposant ce qu’Abernathy et Utterback nomme le dominant design, le concept dominant de ce marché. Enfin, l’innovation (réussie) donne un avantage à l’entreprise en termes d’image, élément essentiel de différenciation de l’offre et d’accroissement du « consentement à payer » du consommateur, donc du niveau de marge du producteur.
Cette image positive d’innovateur favorise aussi l’acceptation par le consommateur des innovations futures proposées par la firme. Sony en a beaucoup bénéficié pour s’imposer sur les marchés high-tech dans les années 70 et 80 ; Apple, Google ou Samsung en bénéficient largement aujourd’hui. Cette image positive influence aussi positivement l’implication des salariés, le recrutement des compétences, la collaboration interfirmes, etc.
Pourtant malgré tous ces avantages de l’innovation, surtout de l’innovation la plus radicale, beaucoup d’entreprises ne se posent pas en leader en matière d’innovations. Pourquoi ? Parce que, si l’innovation donne un avantage déterminant à l’entreprise qui réussit à l’imposer, l’investissement en la matière est coûteux et surtout très hasardeux.