Dynamiques concurrentielles et de coopération

L’innovation peut avoir pour effet tantôt de bouleverser les positions concurrentielles entre firmes ou au contraire de les consolider.
En tout cas, elle est utilisée pour vaincre dans la lutte concurrentielle.
Inversement, un degré plus ou moins important de concurrence peut a priori influencer l’innovation, puisque c’est la concurrence et la recherche du profit qui sont les principales incitations à innover.

3. Pourquoi des alliances stratégiques pour innover ?

S’allier avec un concurrent pour développer une innovation dont on attend un avantage compétitif est a priori paradoxal. Mais alors quels sont les avantages à en tirer ?

Dans un article de 1991 de la Revue d’Economie Industrielle, Jean-Louis Mucchielli proposait de distinguer avantages spécifiques et avantages stratégiques des partenariats en général. Les bénéfices dits spécifiques sont de nature techno-économique. La complémentarité technologique peut rapprocher - nous l’avons vu - des entreprises de secteurs différents. 

Elle peut également concerner des entreprises concurrentes qui possèdent des connaissances, des compétences ou des brevets complémentaires essentiels à la mise au point du nouveau produit ou du nouveau procédé. La complémentarité peut être plus économique voire commerciale : des firmes implantées sur des continents différents avec des contraintes productives et des habitudes de consommation différentes peuvent s’associer, comme ce fut le cas du japonais Sony et du hollandais Philips pour concevoir et imposer le CD audio au début des années 80. 

L’association dans la conception permet - comme c’est le cas pour la production en commun - de partager les coûts, de réaliser des économies d’échelle et des économies d’apprentissage : suppression des doublons, obtention de la taille minimale nécessaire, une masse critique étant souvent nécessaire pour une R&D pertinente... 

Les bénéfices stratégiques sont eux plus aléatoires et parfois assez subtils. Le partage des risques est un argument important de ces alliances stratégiques en R&D. L’échec est à prendre en compte dans une stratégie d’innovation et il peut y avoir un avantage à échouer avec son concurrent. Mais le principal avantage stratégique des partenariats technologiques est plus positif : c’est celui de développer ensemble la technologie de référence du futur et de l’imposer sur le marché. 

Les consortiums technologiques sont ainsi à l’origine de beaucoup de normes de fait dans les secteurs de l’électronique ou de l’informatique. On se souvient que l’existence de rendements croissants d’adoption constitue en matière d’innovation une contrainte stratégique essentielle qui débouche sur l’avènement de standards. On peut ainsi avoir intérêt à s’associer avec certains concurrents pour en exclure d’autres, en particulier de nouveaux entrants. 

Dès la fin des années 80, les géants américains, asiatiques et européens de l’informatique (Texas Instruments, Motorola, Acer, Toshiba, Siemens) s’allient pour imaginer ensemble chaque nouvelle génération de mémoires informatiques, consolidant ainsi leur suprématie régionale. 

A l’opposé de ces alliances défensives existent des alliances offensives destinées - au contraire - à  modifier la structure du marché au bénéfice des suiveurs qui vont s’allier pour renverser le leader. La victoire au milieu des années 80 de l’alliance VHS face au leader SONY sur le marché de la video grand public en est un exemple emblématique. Certaines alliances peuvent avoir des motivations complexes qui empruntent aux différents types d’avantages. Le cas des alliances entre grands industriels de la pharmacie et sociétés de biotechnologies est un cas intéressant que je vous conseille de regarder de plus près. Ces alliances entre firmes jouent dans tous les secteurs high tech un rôle essentiel dans la mise au point et la diffusion des nouvelles technologies et l’imposition de nouveaux standards. 

Une dernière remarque : La guerre des standards ne débouche pas nécessairement sur l’élimination du vaincu ou sa soumission au vainqueur. Les consortiums peuvent eux-mêmes s’associer. A l’origine du DVD un duel opposait l’alliance Philips-Sony à une alliance Toshiba -Time-Warner pour imposer le disque video de référence. L’arrivée d’un consortium d’industriels de l’informatique réuni par IBM autour d’un disque numérique poussa finalement à un accord autour d’un format DVD polyvalent (le V de DVD ne signifie pas video mais versatile, c’est à dire polyvalent en anglais). Nous voyons donc qu’en matière d’innovation technologique la coopération et la compétition cohabitent et le terme de coopétition pourrait être retenu pour qualifier l’ensemble des relations interentreprises dans ce domaine. Mais l’innovation ne concerne pas seulement les entreprises privées et le marché n’est pas l’unique espace de l’innovation.