Adoption et compétition technologique
Beaucoup d’innovations ne dépassent pas le stade du projet, beaucoup d’inventions ne
rencontrent jamais leur public. D’autres, après un début de notoriété,
disparaissent du fait du succès d’autres innovations concurrentes. Une
innovation ne se développe pas de manière isolée ; certaines périodes au
contraire voient se multiplier les solutions nouvelles à des problèmes
donnés. Ce chapitre abordera la compétition entre innovations, entre innovations techniques
en particulier.
4. Et si le marché c'était vous?
4.1. Le paradoxe de la gratuité
« Gratuit » est un adjectif qui qualifie un bien (ou un service) que l’on peut obtenir sans payer.
Malgré ce paradoxe apparent, la gratuité est une stratégie pour vendre. Et c’est même une stratégie ancienne. Voyons cela de plus près.
On cite souvent Gilette pour l’illustrer : Gilette « offrait » le rasoir et ne faisait payer que les lames. Les différents modèles de rasoirs-lames étant « incompatibles » entre eux, seules les lames Gilette pouvaient s’utiliser avec les rasoirs Gillette. A la longue, ça finit par coûter mais pour un premier achat, on a l’impression de faire une sacrée économie. Vous voyez la stratégie, non ?
Ce qui est nouveau, aujourd’hui c’est l’extension que prend le phénomène avec la numérisation de l’économie.
Or, la particularité des biens numériques est qu’il s’agit souvent de technologies de réseaux. Et l’on retrouve les deux éléments centraux : les économies d’échelle (l’importance des coûts fixes de production) et la présence des externalités de réseau.
Comment faire alors pour « capter » le marché ?
C’est là que le producteur (du bien ou du service) se retrouve face à un arbitrage entre deux grands types de stratégies :
- La diffusion gratuite, d’un côté, pour faire adopter le produit (et générer l’effet réseau). Mais alors se pose la question de la génération des revenus …
- La diffusion payante, de l’autre, pour rentabiliser les coûts fixes, au risque de n’avoir pas d’utilisateurs et, au final, de ne rien générer du tout.
Comment faire face au dilemme ?
Il faut combiner les deux ! Et il existe au moins 6 stratégies liées au « gratuit ».
Voyons les trois premières.
La stratégie de l’échantillon est, dans le monde du numérique, celui de l’arbitrage temporel. D’abord « donné », le bien est ensuite vendu. Une fois l’utilisateur accro.
Les deux stratégies de publicité et de base de données sont très répandues. On se finance par la pub ou par la vente des données utilisateurs.
C’est gratuit pour l’utilisateur, payant pour les annonceurs et les autres producteurs. Les deux peuvent même se combiner. Les utilisateurs d’Amazon reconnaîtront le modèle de publicité personnalisée.
Voyons les trois autres maintenant.
La vente liée et les stratégies de package sont très liées.
Dans le premier cas, il s’agit de diffuser deux produits (et/ou services) en même temps ; en liant la vente de l’un à la gratuité de l’autre. Comme dans le cas de Gilette.
Dans le second cas, il s’agit de faire consommer plus. Une suite bureautique en « pack » coûte moins cher que l’ensemble des logiciels qui la composent. Tant pis si vous ne vous servez jamais de l’un (ou plus) d’entre eux, au moment de l’achat, vous avez eu l’impression de faire une économie. Un peu comme quand vous jetez, pour cause de date de péremption, les yaourts du pack promotionnel. Au final, vous constatez que vous avez dépensé plus (ou mangé plus) que ce qui vous aurait été nécessaire.
Enfin, la dernière des stratégies, mais non la moins connues, est celle des « versions ». Prenons le cas d’Adobe et des documents PDF. Tout le monde n’a pas besoin de générer des PDF (version payante) mais ceux qui le veulent ont besoin que les autres puissent les lire (version gratuite).
Le mot de la fin ? Dans notre système capitaliste, rien n’est jamais gratuit. Et le gratuit peut même être sacrément payant !
Deux articles de Presse pour bien comprendre le phénomène du gratuit :
Freemium : le gratuit ou presque comme modèle économique - Les Echos
Le tout gratuit n'est pas le modèle économique du futur - L'usine digitale