Financement de l'innovation et rôles des institutions financières

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Kurz: Innovation : théories et pratiques
Kniha: Financement de l'innovation et rôles des institutions financières
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Dátum: Sobota, 27 júl 2024, 18:27

Opis

L’innovation, comme toute activité économique, a besoin d’être financée, mais son profil particulièrement risqué peut susciter des difficultés importantes entravant son développement.


1. Schumpeter et la relation entre l'entrepreneur-innovateur et le banquier

La banque pour Schumpeter va offrir grâce au crédit bancaire les moyens de ses ambitions à l’entrepreneur, en lui permettant d’acheter des ressources qu’il pourra combiner pour innover. L’innovation, si elle trouve son marché et grâce au profit de monopole qu’elle génère, lui offrira ensuite les moyens de rembourser son emprunt grâce aux profits réalisés.


Joseph Schumpeter, dont nous avons déjà parlé dans de précédents cours, considérait que l’innovation, pour exister, nécessitait un deuxième acteur particulier aux côtés de l’entrepreneur, à savoir le banquier (lui-même ayant dirigé une petite banque d’affaires qui fit faillite).

La banque pour Schumpeter va offrir grâce au crédit bancaire les moyens de ses ambitions à l’entrepreneur, en lui permettant d’acheter des ressources qu’il pourra combiner pour innover. L’innovation, si elle trouve son marché et grâce au profit de monopole qu’elle génère, lui offrira ensuite les moyens de rembourser son emprunt grâce aux profits réalisés.

Schumpeter faisait même jouer un rôle fondamental au crédit comme création de pouvoir d’achat monétaire ex nihilo dans la dynamique de croissance qu’allait engendrer l’innovation, en permettant de créer un financement sans épargne ou profit préalable (on rappelle que le crédit bancaire est une création monétaire du système bancaire).

Schumpeter a eu le mérite d’attirer très tôt l’attention sur la question du financement de l’innovation, mais sa réponse est incomplète, le crédit bancaire n’étant qu’une modalité parmi d’autres du financement de l’innovation, et il faut parfois à côté des innovations technologiques des innovations financières. Pour cela, il faut comprendre les problèmes posés par le financement de l’innovation.


2. Incertitude de l'activité d'innovation et de financement

L’innovation requiert un certain nombre d’investissements matériels et immatériels, qu’il s’agisse de dépenses en recherche et développement ou en capital fixe. Mais l'incertitude de l'activité d'innovation peut rendre les investisseurs frileux.


2.1. Le risque au coeur de l'innovation

Du fait de son engagement vers le futur, l’activité d’innovation est par nature risquée, au sens où les entreprises ne seront jamais certaines de rentabiliser leurs investissements.

Mais plus encore, elle est soumise, si on reprend un concept de Frank Knight et John Maynard Keynes, elle est soumise à l’incertitude radicale. L’incertitude radicale se distingue du risque en ceci, que dans une situation dite risquée, on connaît l’ensemble des événements possibles et les probabilités associées à ces événements, c’est donc une incertitude mesurable, tandis qu’en situation dite radicalement incertaine, il est impossible de prévoir à l’avance tous les événements possibles, et donc par conséquent, d’associer des probabilités de réalisations à chacun de ses événements et de mesurer le risque, ce qui implique de se fonder sur l’intuition pour prendre la décision plutôt que le calcul.

Pour prendre un exemple, les jeux de la roulette russe ou du poker sont risqués mais pas incertains, puisqu’il y a une chance sur six d’en mourir dans un cas et qu’on peut calculer les probabilités de gagner avec une main dans l’autre. Au contraire, la concurrence entre entreprises les poussant à innover et créer sans cesse, cette activité innovante est au contraire caractéristique d’une situation radicalement incertaine : l’innovation étant unique, l’entrepreneur ne peut s’appuyer sur son expérience passée pour estimer sa probabilité de réussite, il se fie à son flair.

Ainsi, le profit peut être conçu dans la théorie économique comme la récompense pour l’entrepreneur de l’incertitude. En finance, on considère que le rendement doit être corrélé au niveau de risque, sinon l’investisseur n’acceptera pas d’engager ses fonds.

En situation incertaine, l’exigence de rentabilité sera d’autant plus forte.Du fait du caractère incertain mais également cumulatif de l’innovation, il faut donc en règle générale un engagement financier long et que des agents acceptent de prendre un risque.

Qui plus est, les investissements en R&D sont ce qu’on appelle des coûts irrécouvrables ou sunk costs : ils engendrent des coûts immédiats et donc des pertes à court terme, qui ne seront recouverts hypothétiquement qu’à moyen ou long terme.
Ces coûts irrécouvrables ainsi que ces engagements longs ne seraient pas en soi un problème pour des financeurs si premièrement les marchés financiers étaient efficients, c’est-à-dire capable d’évaluer correctement le risque et donc le rendement et le prix des actifs, et deux, ce qui va de pair, si les revenus futurs étaient prévisibles. Mais malheureusement, comme on l’a vu, il n’en est rien ici.

Les institutions financières comme les banques ou les investisseurs vont donc en général financer plusieurs entreprises : une partie de leur activité consiste à transformer l’incertitude en risque gérable en diversifiant leur portefeuille d’investissements. Comme les institutions financières gèrent plusieurs actifs et donc plusieurs projets d’investissements, on peut les rendre commensurables sous l’angle statistique des rendements et des risques de faillites (on peut calculer l’espérance de gains et la variance des rendements de l’innovation).
Mais cela ne veut pas dire que le financement de l’innovation n’est pas soumis à des difficultés.


3. Les difficultés du financement de l'innovation

Les difficultés de financement des investissements innovants découlent du degré d’incertitude élevé auquel sont confrontés les entreprises et investisseurs, d’une part parce que les projets innovants sont souvent des échecs mais aussi parce que l’investisseur a une information généralement plus faible que sur d’autres types d’investissements, puisque parfois le projet de l’innovateur est encore plus que prototypique.


3.1. La question centrale du risque


Cette faible information est d’abord intrinsèque à l’innovation comme on l’a dit : l’investisseur n’a souvent pas de réalité connue à laquelle se référer surtout dans le cas d’innovations radicales : nouveau produit, nouveau marché, nouveau modèle d’affaires, etc. La plupart des innovateurs reconnus disent s’être heurté à des refus de leurs banquiers qui pronostiquaient systématiquement leur échec face à l’absence de marché avéré.

Plus généralement, la théorie économique souligne qu’en cas d’information asymétrique sur les projets, les financeurs subissent des risques d’opportunisme appelés anti sélection et aléa moral de la part de leurs emprunteurs.

  • D’une part les financeurs craignant que leurs débiteurs ne leur aient pas divulgué tous les risques du projet, vont exiger des taux d’intérêt ou garanties plus élevé(e)s. Dans le premier cas, ils n’attireront hélas que les clients dont les risques sont les plus élevés (« les mauvais risques ») et dans le second cas, ils risquent d’exclure ceux qui ont peut-être un projet très innovant mais incapable d’offrir des garanties suffisantes => Il s’agit du risque ex ante de sélection adverse ou antisélection.
  • D’autre part, une fois le financement accordé, il est possible que le client de la banque ne tienne pas sa promesse dans l’usage des fonds qui lui ont été accordés. Il s’agit d’un risque ex post désigné sous le terme d’« aléa moral ».

Ensuite, l’activité d’innovation du fait de ses coûts irrécouvrables, peut impliquer que l’entreprise ait à subir de nombreuses périodes de pertes, voire sans chiffre d’affaires du tout. Or si l’entreprise ne peut générer de recettes suffisantes et régulières pour rembourser son crédit, elle risquera la faillite rapidement.

Pour toutes ces raisons, il va être rationnel pour les banques de rationner le crédit bancaire, ou de demander des contreparties (garanties, actifs etc.) et certains projets innovants ne seront pas financés. De nombreux travaux montrent que certains financements traditionnels sont inadéquats à l’innovation.


4. Les financements en equity

Face à ce rationnement relatif du crédit, l’innovation est donc pour une partie non-négligeable financée sur capitaux propres (equity). Le plus important étant l’autofinancement.



4.1. La complexité des marchés boursiers

De nombreuses études montrent clairement que le volume de R&D des firmes, notamment les plus grandes, dépend de leurs ressources internes (cf. Hall & Lerner, 2010). Mais cela suppose donc d’avoir déjà une surface financière suffisante ce qui exclut les plus petites entreprises.


Cependant depuis quelques décennies des formes spécifiques de financement sont apparues en equity (capitaux propres) comme les fonds de capital-risque (venture capital) et les marchés boursiers dits « alternatifs ».

  • Le capital-risque est un intermédiaire financier qui soutient les projets de PME innovantes en apportant une aide technique, organisationnelle et managériale aux innovateurs, en mobilisant ses relations, en recherchant des financements extérieurs et en investissant lui-même via une participation aux capitaux propres.

Il sélectionne les projets à fort potentiel, puis investit en capitaux propres dans la société tout en participant à sa gouvernance. Son investissement se veut assez long pour que l’entreprise entre sur le marché boursier ou soit rachetée, pour qu’il puisse ensuite revendre les actions qu’il possédait de la société et ainsi se rémunérer. Il faut noter que du fait du très haut risque de ces projets, ces investisseurs diversifient leur portefeuille pour gérer le risque en espérant qu’une « pépite » très rentable permettra de compenser les pertes engendrées par tous les projets qui ont échoué (on parle d’1 projet rentable sur 10 quand tout va bien).
Le plus souvent, les fonds n’investissent pas dans la phase initiale (dite essaimage ou amorçage où ce sont plutôt des business angels qui interviennent), mais plutôt à partir du stade du développement, ou à une étape intermédiaire entre l’amorçage et le développement, car ils exigent des signaux crédibles comme des brevets, qui pourront servir de contrepartie en cas d’échec. On a pu mettre à l’actif de ses fonds de capital-risque beaucoup des succès de la Silicon Valley, et plus généralement, des éco-systèmes de start-ups (jeunes pousses).

  • Autre innovation : le développement de marchés boursiers spécialisés sur les entreprises innovantes ou plutôt sur les petites entreprises à forte croissance, moins réglementés que les Bourses traditionnelles, et permettant ainsi de faire de levées de fonds en capitaux propres lors des introductions en Bourse (IPO). 

C’est dès 1971 qu’apparait aux Etats-Unis le NASDAQ, le premier et aujourd’hui encore le plus grand marché électronique d'actions du monde. Constitué au départ pour servir d’antichambre au New York Stock Exchange (Wall Street), il a rapidement accueilli l’ensemble des entreprises naissantes de l’informatique et de l’Internet et des biotechnologies et est devenu une porte de sortie privilégiée pour les fonds de capital-risque.
La spécificité du NASDAQ est une moindre exigence par rapport aux critères d’éligibilité habituels des grandes places boursières : taille minimale, nombre d’exercices bénéficiaires, divulgation d’informations comptables, etc.
Ces caractéristiques ont été imitées dans plusieurs pays européens dès la fin des années 80, comme l’Alternative Investment Market au Royaume-Uni, ou en 1996 en France avec la création du Nouveau Marché, devenu depuis Alternext et le Marché libre (2005), puis Euronext Growth et Euronext Access+.


5. De l'usage du marché-actions par les firmes

Comment le marché boursier peut-il avoir un impact sur l'innovation ? Tout dépend de la taille de l'entreprise et des objectifs fixés.



Le marché des actions a un rôle fondamental dans l’innovation, mais son utilisation diffère selon la taille de l’entreprise. Si on suit William Lazonick (2017) , le marché boursier peut avoir 5 fonctions pour les entreprises :

  1. CASH : le moyen de se financer lors de l’introduction en bourse ou d’augmentation de capital; 
  2. CRÉATION: une incitation à la création d’entreprise quand la perspective de l’entrée en Bourse existe ;
  3. CONTRÔLE: Un moyen pour les actionnaires de contrôler les dirigeants, qui sont obligés de tenir compte du cours de l’action pour ne pas risquer le rachat de la société par un concurrent ;
  4. COMBINAISON : le moyen de rémunérer le personnel hautement qualifié, en les rémunérant en stock-options ou en actions plutôt qu’en monnaie ;
  5. REMUNÉRATION : un moyen de faire des acquisitions et donc de combiner des actifs et compétences complémentaires au développement de l’entreprise.