Les modèles traditionnels de diffusion

Site: Plateforme pédagogique de l'Université de Bordeaux (Sciences & Techno.)
Course: Innovation : théories et pratiques
Book: Les modèles traditionnels de diffusion
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Date: Sunday, 1 September 2024, 8:34 AM

Description

Qu’il s’agisse de définir l’innovation ou d’analyser ses effets sur la croissance économique, les économistes - nous l’avons vu - mettent au premier plan la nécessaire propagation de la nouveauté dans l’économie et la société.

1. Le modèle de diffusion des innovations

Les nouveautés ne sont pas adoptées instantanément, qu’il s’agisse de nouveaux produits, de nouvelles méthodes de production ou de changements dans l’organisation du travail, même quand ces nouveautés nous semblent a posteriori bien supérieures aux produits, techniques ou méthodes précédents. De nombreuses explications existent qui ont intéressé l’ensemble des sciences sociales.

1.1. Le temps de diffusion


La réflexion sur la diffusion des innovations est marquée à partir des années 30 par l’étude des sociologues ruraux américains de la diffusion du maïs hybride dans les différents états. Un constat s’impose : quel que soit l’état concerné et la période de diffusion, la croissance de la part des semences hybrides dans les cultures suit une courbe en forme de S (« sigmoïde » pour les mathématiciens).

On retrouve cette même forme de courbe quand on observe l’évolution du taux d’équipement des ménages en équipements modernes.

La forme de ces courbes n’est pas sans rappeler celles observées lors de la propagation des virus dans une population, d’où le qualificatif d’épidémique donné aux modèles qui représentent par une courbe sigmoïde la diffusion des innovations dans la population, qu’il s’agisse de ménages ou d’entreprises.
Source : Thomas Guiraud, Bordeaux Science Agro - Évolution de la mortalité - Virus Ebola

Le parallèle est compréhensible si l’on admet que la diffusion est essentiellement un problème d’information : l’adoptant contamine son environnement de la même manière que le porteur de virus. Il s’agit d’un phénomène endogène au processus de diffusion, il doit tout à des canaux de diffusion interne, c'est le phénomène du bouche-à-oreille.


La vitesse de diffusion est très variable, elle dépend de la sensibilité des adoptants potentiels et de l’attractivité de l’innovation, un peu comme la propagation de l’infection dépend de la virulence de la maladie et de la capacité des porteurs à lui résister.

Cela conduit à des courbes plus ou moins plates : si l’on revient au graphique, on voit que la radio ou le micro-ondes se sont imposés plus rapidement que le téléphone ou la machine à laver.
La forme en S des courbes est, elle, la conséquence d’un phénomène plus généralisé : les premiers adoptants sont peu nombreux et mettent du temps à convaincre de nouveaux adeptes, puis la diffusion augmente rapidement avec la croissance continue du nombre d’adoptants.

Au bout d’un certain temps, cependant, le phénomène se ralentit, la part du nombre de convaincus est telle qu’il devient difficile de trouver de nouveaux adoptants, l’aplatissement de la courbe traduisant un phénomène de saturation du marché.


2. Les limites de la forme sigmoïde

La forme sigmoïde du modèle épidémique ne reflète pas suffisamment la diffusion des innovations. Il a été enrichi dès le début des années 60 par le sociologue américain Everett Rogers . Il définit l’innovation comme « le processus par lequel une innovation est communiquée, à travers certains canaux, dans la durée, parmi les membres d’un système social » (voir Rogers 1995).

2.1. Le modèle épidémique enrichi par Rogers

 Celui-ci distingue cinq types d’usagers selon leur capacité à adopter l’innovation : les innovateurs, les premiers utilisateurs, la première majorité, la seconde majorité et enfin les retardataires. La répartition de ces catégories selon une distribution normale explique parfaitement la forme sigmoïde de la courbe de diffusion comme le montre le graphique suivant.


Cycle de diffusion de l'innovation d'après Everett Rogers (1962)

Pour Rogers les explications de cette adoption différenciée des innovations dépendent entièrement des caractéristiques sociales des individus : âge, sexe, profession, revenu, habitat, etc.

Un modèle mécanique critiqué

Ce modèle est le modèle de référence mais il est aujourd’hui critiqué.

D’abord parce que la forme sigmoïde des courbes de diffusion n’est pas une loi intangible, en particulier quand des sources externes d’information (publicité, éducation) existent ou qu’interviennent des acteurs institutionnels.

Ensuite, parce qu’il peine à expliquer les différences importantes des vitesses d’adoption et l’accélération récente des processus de diffusion pour certains produits high tech. Avec le développement des technologies de réseau d’autres processus sont aujourd’hui à l’œuvre comme nous le montrera notre collègue Marie Coris dans la partie suivante de ce cours.

3. Les autres modèles d'adoption

Les modèles de diffusion que nous venons de voir sont basés sur l’information avec un a priori qui est que « si on connait, on adopte » et l’hypothèse tacite que le nouveau produit est meilleur que l’ancien ou la nouvelle technologie évidemment plus performante que la précédente. Les économistes ont développé d’autres modèles d’adoption qui relativisent cette évidence et mettent en exergue les déterminants et incitations économiques de la diffusion.

3.1. Des seuils pour adopter

Les modèles d’adoption les plus simples et les plus connus s’intéressent aux innovations de processus et à leur adoption par les entreprises.

Ils font l’hypothèse que les entreprises ont des tailles différentes, que les adoptants tirent de l’innovation des bénéfices proportionnels à leur taille mais que les coûts d’adoption de la nouvelle technologie (achat et installation, apprentissage, etc) sont les mêmes pour des entreprises de taille différente : on parle d’« indivisibilité » du coût d’adoption.

Il découle de ces hypothèses qu’à chaque instant, seules les entreprises au-dessus d’une «dimension critique» adoptent la nouvelle technologie, parce que la dimension détermine la profitabilité de l’adoption ; il existe une taille minimale pour que les bénéfices qu’on tire de l’adoption en compensent le coût.
Les non adoptants attendent soit une augmentation des bénéfices d’adoption soit une réduction des coûts, c’est-à-dire une diminution de la dimension critique de l’adoption. Si la dimension critique ne baisse pas, il n’y aura pas de diffusion. Ceci explique la non diffusion de certaines technologies prometteuses a priori. Mais dans beaucoup de cas la diffusion s’opère. Pourquoi ? Parce qu’il existe des mécanismes économiques endogènes au phénomène de diffusion qui l’auto-entretiennent.

L’avantage cumulatif de l’adoption


Il y a surtout les économies d’échelle et d’apprentissage que les fournisseurs réalisent avec la hausse des ventes de leurs produits.

Ces économies permettent une baisse du prix de l’innovation donc une réduction du coût de l’adoption et de sa dimension critique.

La courbe d’apprentissage est aussi qualitative : les fournisseurs améliorent leurs produits, leur système de production et même leur capacité à informer et à convaincre. On peut parler de processus circulaire : plus de diffusion, c'est plus d’expérience accumulée par les fournisseurs, donc une baisse des prix et une hausse des performances conduisant à une baisse de la dimension critique qui augmente la diffusion, l’expérience des fournisseurs, etc.

Ce processus mis en évidence pour l’adoption des technologies par les entreprises peut être appliqué aux nouveaux produits de consommation et aux ménages. On retrouve là un phénomène bien connu modélisé, par exemple, par Raymond Vernon dans sa conception du cycle du produit.