L'innovation ouverte
Site: | Plateforme pédagogique de l'Université de Bordeaux (Sciences & Techno.) |
Cours: | Innovation : théories et pratiques |
Livre: | L'innovation ouverte |
Imprimé par: | Visiteur anonyme |
Date: | vendredi 22 novembre 2024, 01:47 |
Description
Pour innover, vous l'aurez compris, on est rarement seul. Les
interactions sont aujourd'hui devenues une part essentielles et
incontournables des processus d'innovation. Nous le verrons, les
spécialistes contemporains de l'innovation étudient les différentes
stratégies et formes de partenariats rendues possibles avec, notamment,
les nouvelles technologies.
1. L'innovation ouverte ou open innovation
Pour innover, vous l'aurez compris, on est rarement seul. Les interactions sont aujourd'hui devenues une part essentielles et incontournables des processus d'innovation. Nous le verrons, les spécialistes contemporains de l'innovation étudient les différentes stratégies et formes de partenariats rendues possibles avec, notamment, les nouvelles technologies.
1.1. L'importance des interactions
On a souvent la vision de l’innovation comme l'idée géniale d'un inventeur généralement solitaire qui cultive le secret, par crainte de la copie, du plagiat. Or comme on l’a vu : d’une part, l’invention n’est pas l’innovation et d’autre part, les interactions sont centrales dans le processus d’innovation.
Les théories contemporaines de l'innovation insistent ainsi sur l'importance des interactions entre technologies et marchés, sur la nécessaire complémentarité des compétences de multiples acteurs pour concevoir, développer et diffuser des idées, des pratiques ou produits nouveaux.
Et c’est bien ce qu’on peut observer : les technologies nouvelles, les produits nouveaux empruntent des idées, des dispositifs techniques, des modes de diffusion à d’autres inventions ou innovations. Celles-ci sont développées par d’autres entreprises ou par des organismes sans but lucratif qu’il s’agisse de laboratoires de recherche publique, de communautés de développeurs ou de passionnés, issus parfois de disciplines ou de branches d’activité éloignées.
La diversité est source de créativité.
Cette dimension collective, sociale de l’innovation est particulièrement visible dans les domaines liés au traitement automatisé des données. Comment Apple ou Uber auraient pu développer leurs propositions commerciales sans les découvertes, inventions et innovations cumulées dans les domaines de l’informatique, des réseaux et des bases de données ?
L’innovation est en effet aujourd’hui un processus collectif et ouvert au sein de structures (socio-)économiques qui mêlent activités marchandes et non marchandes.
Compte tenu de la complexité et de la globalité des interactions technologiques, économiques, sociales et culturelles du monde contemporain, l’innovation ne peut être le fait d’acteurs solitaires développant leur recherche uniquement en interne et dans le secret. Ainsi Henry Chesbrough de l’Université de Berkeley réunit sous le terme d’open innovation (que l’on traduit par innovation ouverte ou distribuée) un ensemble de prescriptions affirmant la nécessité pour les entreprises de développer une stratégie d’innovation ouverte par le développement de partenariats.
Références
Henry Chesbrough, Open Innovation: The New Imperative for Creating and Profiting from Technology. HBS Press, 2003
Loilier Th., Tellier A., « Henry Chesbrough - Repenser le business model à l'heure de l'innovation ouverte », Les grands auteurs en management de l'innovation et de la créativité, coordonné par Th. Burger-Helmchen, C. Hussler et P. Cohendet, Éditions EMS, Paris, 2016, pp.297-322
1.2. Des partenariats multiples
Ces partenariats concernent non seulement des universités et des centres de recherche publics mais aussi avec d’autres entreprises, qu’il s’agisse de clients, de fournisseurs ou même de concurrents.
1.3. L'open-source
Ces partenariats concernent non seulement des universités et des centres de recherche publics mais aussi avec d’autres entreprises, qu’il s’agisse de clients, de fournisseurs ou même de concurrents.
Cette ouverture peut concerner les résultats de la recherche dans le cas d’achats de licence ou d’échange de brevets mais également le processus de recherche lui-même, y compris dans ces stades premiers que sont la recherche d’idées nouvelles, dans la phase dite de recherche pré-compétitive.
Cette ouverture englobe aussi les consommateurs, les utilisateurs et les communautés de professionnels, comme dans le cas des communautés open source.
Au vu du succès de l’encyclopédie collaborative Wikipedia, l’utilisation des compétences du public par les entreprises s’est développée sur le web à travers le concept de crowdsourcing (production participative) et touche particulièrement la découverte de nouveaux produits ou de solutions innovantes. On peut citer en France le cas de Decathlon, qui depuis 2014 offre à ses clients une plateforme - Decathlon Creation - leur permettant de proposer des idées de produits et d'en débattre avec la communauté. Cette pratique est de plus en plus formalisée : certaines entreprises éditent des formes de cahiers des charges adaptés au grand public et proposent des formes de rémunération.
Référence
Jeff Howe, « The Rise of Crowdsourcing », Wired, 14 juin 2006
1.4. Absorber des connaissances et diffuser des connaissances
Stratégies outside-in
Le premier type outside-in renvoie à des pratiques relativement anciennes consistant pour l’entreprise à absorber des connaissances et des technologies développées par d’autres. Il s’agit d’acheter des brevets ou des licences de produits conçus par d’autres entreprises - licensing-in - ou par des centres de recherche publics, ou bien d’externaliser une partie de sa R&D ou encore de racheter des entreprises - spin-in - pour s’emparer de compétences ou de connaissances stratégiques.
On peut y rattacher l’utilisation des communautés d’utilisateurs pour améliorer les produits ou diversifier leur catalogue. Ces pratiques anciennes se sont développées et diversifiées au cours des dernières décennies grâce aux possibilités nouvelles offertes par les technologies de l’information et des communications. Le crowdsourcing en est un exemple.
Stratégies d’inside-out et mixtes
La nouveauté la plus intéressante en matière de stratégie ouverte réside dans l’émergence et le développement de l’inside-out, pratique un peu surprenante a priori puisque l’entreprise offre ses connaissances et ses technologies à l’extérieur, sur un mode marchand ou non, et de manière délibérée.
Dans le domaine du développement logiciel, beaucoup d’entreprises participent directement ou indirectement à des projets open source en mettant à la disposition des communautés les technologies et les compétences qu’elles maîtrisent afin de favoriser l’émergence de nouvelles solutions techniques. Mais les stratégies d’inside-out peuvent être plus directement profitables.
Dans le domaine des biotechnologies par exemple, beaucoup de startups ont pour objectif la valorisation de leurs compétences en innovation : elles ne cherchent pas à mettre un médicament sur le marché mais plutôt à développer suffisamment un produit ou un procédé afin d’en céder une licence d’exploitation aux grandes entreprises pharmaceutiques, ce que les spécialistes nomment le licensing-off.
De même les startups qui proposent de nouveaux services sur la Toile ont plus souvent comme objectif de se faire racheter (très cher de préférence) par un des grands du secteur que de tenter de les concurrencer (on parle alors de spin-off).
Là encore les nouvelles technologies ont offert de nouvelles possibilités.
Les entreprises peuvent utiliser ce que l’on appelle des places de marché pour offrir en ligne leurs technologies. La plateforme Yet2.com parfois appelée l’« e-Bay des idées » est une plateforme web spécialisée qui met en ligne des technologies proposées par des entreprises avec leur descriptif et les applications possibles.
Certaines stratégies sont à la fois outside-in et inside-out
C’est le cas au sein des consortiums technologiques où les partenaires partagent leurs compétences.
Ces consortiums se sont multipliés notamment dans les industries qui reposent sur des rendements croissants d’adoption, notamment dans le secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC), ce qui suppose une standardisation des solutions techniques.
On en retrouve aussi dans des industries plus traditionnelles comme l’automobile confrontées à des ruptures technologiques (véhicule électrique, voiture autonome). De même les communautés d’utilisateurs peuvent bénéficier de transferts de technologies de la part de l’entreprise pour favoriser leur créativité. Ce transfert peut être plus ou moins volontaire. Ainsi quand LEGO se rendit compte qu’un étudiant de Stanford, membre du club Adults Fans Of Lego (AFOL) diffusait sur Internet le programme du Mindstorms Kit qu’il avait reconstitué par ingénierie inverse, la firme danoise généralement très jalouse de sa propriété intellectuelle décida de laisser faire, persuadée que cela ne pourrait qu’accroître encore l’intérêt de sa gamme de briques robotisées.
Référence
Isckia T., Lescop D., (2010), « Essai sur les fondements de l’innovation ouverte », conférence AIMS, Luxembourg.
2. Des stratégies variées d'open innovation
Nous pouvons avec Thierry Isckia et Denis Lescop distinguer deux types de stratégies ouvertes en matière d’innovation : les stratégies « outside-in » d’une part et les stratégies « inside-out » d’autre part.
2.1. L'open innovation : quelles justifications ?
Si pour Henry Chesbrough l’open innovation est une injonction dictée par la complexité du monde contemporain, il peut être intéressant d’identifier plus précisément les motivations des entreprises qui s’y engagent. C’est ainsi que le fabricant de pneu Michelin, qui a été pendant plusieurs décennies l’exemple type d’une firme cultivant le secret industriel, est devenu un adepte de l’innovation ouverte.
2.2. La diversité des stratégies
Pourquoi des entreprises prennent-elles le risque d’ouvrir leurs programmes de recherche parfois très largement à d’autres entreprises voire à des particuliers anonymes ? Pour répondre à cette question nous devons de nouveau distinguer pratiques d’outside-in et pratiques d'inside-out.
Le recours par les entreprises à des communautés d’utilisateurs, de praticiens (dans le cas de l’open source) ou d’anonymes (dans le cas du crowdsourcing) est un moyen rapide et peu coûteux de trouver des solutions à leurs problèmes ou d’améliorer leurs produits et leurs procédés.
Dans son essai de 1999 intitulé La Cathédrale et le Bazar, Eric S. Raymond énonce une « Loi de Linus » qui affirme qu’en matière de développement logiciel, le nombre d’intervenants diminue le temps de résolution des problèmes et augmente la fiabilité des solutions trouvées. Cela démontre plus largement pour lui la supériorité contemporaine du « Bazar » (la coopération multiple) sur la « Cathédrale » (la hiérarchie fondée sur le statut).
La variété des solutions proposées par les anonymes est souvent surprenante, prouvant que l’imagination du plus grand nombre est moins étriquée que celle des spécialistes.
En 2009-2010, la NASA proposa sept problèmes jugés insolubles sur la plateforme de crowdsourcing Innocentive. 3000 personnes issues de 80 pays contribuèrent, 300 d’entre elles trouvèrent des solutions, en moyenne 50 solutions différentes pour chaque problème. Dans de nombreux cas, les solutions provenaient de personnes très éloignées du secteur de l’aérospatial.
Cette ouverture sur le grand public a un autre avantage pour les entreprises, c’est d’obtenir des résultats extrêmement peu coûteux. Les solvers peuvent être bénévoles ou accepter des rétributions relativement symboliques.
D’autre part, les communautés sont capables de s’auto-motiver, d’auto-sélectionner leurs membres, de s’auto-discipliner dans le cadre de règles générales fixées par l’entreprise, supprimant ainsi une partie des coûts liés à la gestion des ressources humaines et à la surveillance ou au suivi du personnel.
A l’opposé, les motivations du inside-out sont plus complexes.
Dans le cas de startups qui cherchent à vendre leurs licences voire à se vendre elles-mêmes, le business plan est parfaitement rationnel.
Certaines offres de technologies par les firmes peuvent être le résultat de bifurcations stratégiques. Ce fut le cas quand les Laboratoires Bell abandonnèrent leur système d’exploitation Unix aux universitaires du fait d’une obligation légale faite à leur maison-mère AT&T. De même le projet Mozilla (le navigateur Firefox) bénéficia de la libération du code de Netscape Navigator par ses auteurs qui voulaient protester contre l’abus de position dominante de Microsoft lors de l’intégration d’Internet Explorer à Windows 95.
Mais généralement quand les firmes offrent leurs compétences et leurs technologies à des partenaires ou à des communautés c’est dans l’intention d’en retirer un profit à moyen terme :
- Soit en facilitant la réussite d’un projet collectif d’innovation dont elles finiront par tirer profit, d’autant plus certainement qu’elles auront eu un rôle leader dans cette réussite et se seront construit au passage une image positive.
- Soit parce qu’ainsi elles confortent la suprématie des solutions techno-économiques qu’elles maîtrisent.
Il n’est pas rare de voir des leaders offrir leur technologie à leurs principaux concurrents pour éviter une modification du paradigme technologique qui les a faits rois. Nous sommes là dans la logique du dominant design étudié dès 1975 par Utterback and Abernathy.
La conception de nouveaux produits comme leur production étant marquée par la multiplication des interactions et la modularité, il est aujourd’hui pertinent de développer - en particulier dans les industries et les services high tech - des stratégies complexes de propriété intellectuelle, associant briques libres, briques partagées et briques propriétaires, la maîtrise de certains modules ou des interfaces peuvent suffire à la maîtrise des nouveaux produits et des nouveaux procédés.
3. Conclusion-Open innovation
Pour conclure, le succès du concept d’open innovation est indéniable même si certains le jugent trop large puisque regroupant des pratiques anciennes de partenariat (entre firmes ou entre entreprises et recherche universitaire) ou d’achat de brevets et des phénomènes nouveaux.