Les formes complexes de l'innovation

Site: Plateforme pédagogique de l'Université de Bordeaux (Sciences & Techno.)
Cursus: Innovation : théories et pratiques
Boek: Les formes complexes de l'innovation
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Datum: zaterdag, 27 juli 2024, 20:35

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Joseph Schumpeter, célèbre économiste autrichien, a influencé et influence encore les théories économiques de l'innovation. Ces travaux sont aujourd'hui remis au goût du jour avec de nouvelles théories et de nouveaux concepts dus notamment à l'évolution technique et technologique.

1. L'apport de Joseph Schumpeter

On ne peut parler d’innovation sans parler de Joseph Schumpeter.  C’est un économiste autrichien (1883-1950) qui émigrera aux États-Unis juste avant la seconde guerre mondiale et enseignera à Harvard jusqu’à sa mort. Il publie en 1911 la Théorie de l'évolution économique, ouvrage qui témoigne de son intérêt pour la dynamique et les lois du changement économique. Pour Schumpeter, le moteur de ce système est l'entrepreneur innovateur.


1.1. La destruction créatrice

L’entrepreneur innovateur

Steve Jobs ou Edison sont des entrepreneurs innovateurs au sens de Schumpeter qui définit celui-ci comme un génie créatif parfois solitaire qui va sortir des sentiers battus pour innover. C'est ce mythe qui a généré les « success stories » modernes de l'innovation. Nous verrons qu'il faut sortir de ce schéma pour comprendre la variété des innovations dans les sociétés modernes. Les légendes liées à ce mythe cachent des réalités plus complexes. Les grandes inventions ne relèvent pas de parcours individuels mais de recherches simultanées autour d'un problème que se posent des individus à un moment donné. Le phonogramme, l'aviation ou l'automobile doivent leur développement à des grappes d'inventeurs qui coopèrent parfois mais aussi qui se font concurrence. Le mythe de l'entrepreneur innovateur solitaire est aujourd'hui dépassé. Le fondateur de Tesla (véhicules électriques) ou de Space X (lanceurs spatiaux), Elon Musk, est plus un manager de très nombreux ingénieurs qu'un véritable innovateur solitaire.

Les grappes technologiques et la destruction créatrice

Dans Le cycle des affaires, publié en 1939, Schumpeter décrit les cycles économiques issus de l'innovation et en particulier les « grappes d'innovation ». Après une innovation majeure, souvent une innovation de rupture due à un progrès technique, voire scientifique, d'autres innovations sont portées par ces découvertes.

« Le nouveau ne sort pas de l’ancien, mais à côté de l’ancien, lui fait concurrence jusqu’à lui nuire » : c’est la destruction créatrice. Les marchés sont profondément modifiés par la nouveauté.

Par exemple : la machine à vapeur serait ainsi à l’origine d’un premier cycle long, puis l’électricité et la chimie, puis l’automobile, et enfin, pour ceux qui adhèrent à cette vision du changement technique par vagues, l’informatique.

Ce phénomène explique que les innovations vont alors apparaître par grappe et se diffusent par imitation. Deux visions sont possibles : une première innovation radicale va venir transformer tout le système en place, apportant à cet entrepreneur une situation de monopole temporaire, la seconde est celle de l'émulation entre des inventeurs qui travaillent conjointement dans un domaine donné. Les idées sont alors « dans l'air » selon les termes d'Alfred Marshall. Elles peuvent aussi circuler dans des « milieux innovateurs » qui peuvent être localisés dans une même zone géographique. A travers ces travaux, Joseph Schumpeter met en avant la destruction créatrice, c'est à dire le remplacement des anciennes technologies par de nouvelles. On parle alors d'innovations radicales ou de rupture.


1.2. Innovation de rupture: les travaux de Clayton Christensen

Le terme le plus utilisé aujourd’hui dans les médias pour ce type d’innovation est celui d’innovation de rupture. Lorsque celle-ci est liée à une technologie, on parle aussi de technologie de rupture (disruptive technology en anglais) qui apparait dans un livre publié en 1997 de  Clayton Christensen dans son ouvrage TheInnovator’s dilemma . 

Toutes les ruptures ne sont pas technologiques , AirBnB révolutionne la location entre particulier sans faire appel à des technologies de rupture. On utilise désormais le terme plus générique d’innovation de rupture (Clayton M. Christensen ,The Innovator’s solution).

Quelques exemples de technologies de rupture :

-le téléchargement de musique et le partage de fichier ont rendu obsolète le disque compact

-le e-commerce remet en cause les magasins physiques

-la vidéo à la demande remplace la location de disques ou de cassettes

De nombreux exemples récents sont des changements liés à l’usage et n’impliquent pas de technologies de rupture. Or ce sont bien des innovations de rupture. Airbnb, blablacar, Uber et toutes les plateformes d’usage n’utilisent pas de technologies de rupture mais inventent de nouveaux usages en transformant les habitudes de consommation.

https://www.xerficanal.com/strategie-management/emission/Philippe-Silberzahn-Face-aux-innovations-de-ruptures-la-pensee-de-Clayton-Christensen_3764.html

Elle montre comment des acteurs installés sur un marché profitent des innovations incrémentales, mais sont le plus souvent marginalisés à la suite d’une innovation radicale. L’exemple le plus frappant est celui de Kodak qui n’a pas su prendre le tournant du numérique alors qu’il maîtrisait cette technologie. Mais inversement d’autres entreprises comme Lego ont su, sans bouleverser leur technologie, faire face à ce type de défi. L’opposition radicale/incrémentale est intéressante pour analyser un marché, mais ne doit pas conduire à penser que les innovations radicales ou de rupture seraient, par nature, plus efficaces que les innovations incrémentales.

Christensen est revenu sur la question et met en avant le modèle d’affaires. Si la nouvelle technologie est cohérente avec le modèle d’affaires, elle révolutionne la technique, mais pas l’organisation de l’entreprise. Une entreprise comme Orange par exemple a le même modèle d’affaires dans le téléphone qu’il y a 20 ans, mais elle a su s’adapter aux nouveaux impératifs d’un marché qui faisait circuler plus des données que la voix. Les opérateurs fixes ont réussi à devenir des acteurs du mobile. L’arrivée d’une innovation radicale peut amener un secteur à s’adapter comme l’on fait les hôtels avec l’émergence des plateformes de type Booking ou les taxis avec Uber.

Si l’innovation est trop en rupture avec le modèle d’affaires, celle-ci peut être filialisée et une nouvelle entité sera créée. C’est en général le modèle suivi par les groupes qui intègrent des filiales low cost comme Renault et la Logan, Orange et Sosh, la SNCF et Ouigo


1.3. Les innovations incrémentales

À côté des innovations radicales ou de rupture qui correspondent à une modification profonde des marchés par leur nouveauté, on trouve les innovations incrémentales : soit l’amélioration continue de technologies dans le cadre de trajectoires technologiques.


1.4. La combinaison des formes de l'innovation

Innovations incrémentales et radicales

À côté des innovations radicales ou de rupture qui correspondent à une modification profonde des marchés par leur nouveauté, on trouve les innovations incrémentales : soit l’amélioration continue de technologies dans le cadre de trajectoires technologiques. Les innovations incrémentales jouent un rôle essentiel. Dans le secteur des télécommunications, les normes de haut débit mobile se succèdent depuis la 1 G analogique aux 2G, 3G, 4G, 5G numériques. Dans le domaine des transports, la firme Harley Davidson a raffiné son concept de base depuis 1903 quand William Harley, alors âgé de 21 ans, et Arthur Davidson (20 ans) construisirent un prototype de bicyclette motorisée dans un garage minuscule de Milwaukee.

Lego est un bon exemple de combinaison des formes d'innovations

En 10 ans, l’entreprise danoise Lego a fait un bénéfice net proche du milliard d’euros. Revenu d’une crise douloureuse, Lego vit des années de croissance surréaliste. Pourtant, l’entreprise revient de loin : en 2003 elle frôle le dépôt de bilan. L’addition d’une baisse d’attractivité pour les petites briques, d’une montée en puissance des jeux vidéos et d’une diversification hasardeuse, notamment dans les parcs d’attractions ou des dessins animés, ne lui rend, à l’époque, aucun service. C’est également à cette même période que le brevet de la célèbre brique arrive dans le domaine public. Face à une baisse nette de sa rentabilité et une chute sans précédent de ses ventes, la marque voit arriver sa fin. Toutefois, l’arrivée d’un nouveau dirigeant, Jorgen Vig Knudstorp, venu pour la première fois de l’extérieur, va tout changer.
Lego mise sur une stratégie qui combine innovation incrémentale et innovation de rupture.

https://www.lescahiersdelinnovation.com/2017/09/lego-ou-comment-eviter-la-ringardisation-etude-de-cas/


2. Les 5 types d'innovations schumpétériennes

En 1934, Joseph Schumpeter propose cinq types d’innovations :

  • l’introduction d’un nouveau produit,
  • l’introduction de nouvelles méthodes de production,
  • l’ouverture de nouveaux marchés,
  • le développement de nouvelles sources d’approvisionnement,
  • la création de nouvelles structures de marchés.


2.1. La complexité des formes de l'innovation


=> L’introduction d’un nouveau produit peut être une innovation radicale, mais par améliorations successives, ce nouveau produit peut se transformer de façon incrémentale pour transformer profondément un secteur d’activité. L’introduction de nouveaux produits tels que le réfrigérateur ou la machine à laver ont été des innovations radicales et ont profondément transformé l’équipement de la maison.

=> L’introduction de nouvelles méthodes de production correspond à des innovations de procédés ou, s’il s’agit d’innovations dans l’organisation, des innovations organisationnelles. Par exemple, Ford révolutionne la production automobile par plusieurs innovations liées à la fabrication de sa Ford T dans les années 30 : un convoyeur déplace les produits devant les travailleurs postés. Le système mécanique impose alors le rythme de travail à l’ouvrier. C’est le travail à la chaîne. Les pièces sont standardisées et simplifiées pour faciliter le montage. Elles seront interchangeables sur plusieurs véhicules. Tout ceci permet la production de masse, la baisse des coûts et des prix des véhicules par ce que les économistes nomment des économies d’échelle. C’est les Temps modernes de Chaplin.

=> L’ouverture de nouveaux marchés conduit à des innovations de commercialisation. L’émergence d’internet a ouvert de nouveaux marchés avec la possibilité de mise en contact de particuliers entre eux. C’est l’émergence d’une économie collaborative qui porte en elle de nouveaux comportements de marché : soit par la vente ou l’échange payant (location d’objets, maisons, véhicules entre particuliers), soit par l’échange ou la mise à disposition gratuite (Donnons), soit par la participation à des projets collectifs de type levées de fonds sur projet (Crowdfunding).

=> Le développement de nouvelles sources d’approvisionnement concerne les innovations liées à l’accès à de nouvelles ressources. Elles ont profondément transformé notre histoire (charbon, pétrole…). Les grandes révolutions industrielles ont elles aussi été de grandes révolutions énergétiques et ont engendré de nombreuses recherches et applications comme les travaux de Lavoisier sur l’énergie solaire ou le premier véhicule à vapeur mit au point par Joseph Cugnot en 1770 sur la base des travaux sur la vapeur de Denis Papin… Plus récemment, le débat sur la fracturation hydraulique et les gaz de schistes est au cœur de l’actualité en Europe.

=> Enfin, le cinquième type d’innovation selon Joseph Schumpeter est la création de nouvelles structures de marchés. Le débat récent sur la concurrence entre taxis et Véhicules de Tourisme avec Chauffeurs (VTC) en Europe montre comment l’ouverture d’un marché peut remettre en cause des marchés existants. Les sites Uber, SnapCar, Chauffeur-privé ou AlloCab, ont recours à la géolocalisation (carte affichant les voitures disponibles). Les applications peuvent ainsi aider les utilisateurs à géolocaliser sur leur smartphone les véhicules à proximité. Les taxis qui ont des obligations de localisation dans des aires réservées contestent l’utilisation de ces innovations.



2.2. Les autres types d'innovation

L'innovation ne se limite pas aux types d'innovations définis par Schumpeter.

Aujourd'hui, de nouveaux types d'innovations apparaissent comme :

  • Les innovations frugales;
  • Les innovations low-cost;
  • Les innovations participatives ou collaboratives;
  • Les innovations environnementales.

3. Créativité, apprentissage et production de connaissances

L’innovation renvoie à la créativité. Les économistes s’intéressent à ce concept à travers la notion d’économie créative.
L’innovation est souvent vue comme le seul fait des firmes mais en insistant sur la créativité, on retrouve l’individu.

3.1. Créativité et connaissances

L’innovation renvoie à la créativité. Les économistes s’intéressent à ce concept à travers la notion d’économie créative.

L’innovation est souvent vue comme le seul fait des firmes mais en insistant sur la créativité, on retrouve l’individu.

Créativité, apprentissage et production de connaissances

On dit que la créativité est l’étincelle de l’innovation. Albert Einstein disait une phrase importante « avec la créativité c’est l’intelligence qui s’amuse ».

Ceci était déjà souligné par Joseph Schumpeter : le terme d’entrepreneur innovateur comprenait l’ensemble des personnes innovantes dans la société. Ce terme est aujourd’hui employé de façon plus circonscrite et est lié à l’entrepreneuriat. Il existe en fait deux visions complémentaires de la créativité.

  • Une vision qui considère celle-ci comme un processus autonome et lié à des caractéristiques particulières des individus « créatifs » : personnalité, autonomie, …
  • Une vision plus combinatoire qui définit la créativité comme la possibilité de combiner des idées incompatibles ou de combiner des disciplines entre elles. C’est la vision d’Herbert Simon.

Les connaissances sont le carburant de l’innovation.

L’innovation est fondée sur la connaissance et le fait que nous participons à une « Économie de la Connaissance » (Dominique Foray 2000). Ce terme met en évidence l’importance du capital humain dans l’innovation (éducation), sur les biens immatériels et sur l’innovation comme moteur des dynamiques économiques.

On distingue deux types de connaissances depuis Michael Polanyi (« Nous savons toujours plus que nous savons dire », 1966) : Il distingue les connaissances tacites des connaissances explicites.

  • Les connaissances tacites ou « connaissances implicites » sont souvent relatives au vécu personnel. Elles regroupent des compétences innées ou acquises, le savoir-faire et l'expérience et sont généralement difficiles à verbaliser ou à « formaliser » par opposition aux connaissances explicites. Les échanger est plus difficile et peut nécessiter un face à face entre des individus. Les transferts peuvent aussi être difficiles notamment lors des départs des individus qui les détiennent.
  • Les connaissances explicites ou codifiées, par opposition aux connaissances tacites. Ce sont des connaissances clairement articulées sur un document écrit ou dans un système informatique. Ces connaissances sont transférables physiquement et il est possible de les stocker ou de les reproduire.

Comment sont produites les connaissances dans une société ?

La production de connaissances par une société va dépendre : de l’incertitude importante liée à la nature des connaissances scientifiques, de l’aversion des acteurs au risque, des structures sociales, de l’encadrement moral et juridique de la recherche, des politiques publiques de soutien à la recherche et à l’innovation et des institutions qui jouent un rôle central dans la production de connaissances, des régimes d’incitations qui vont encadrer la propriété intellectuelle, et des vecteurs de diffusion des connaissances comme Internet.

Il est nécessaire aussi d’apprendre pour innover. L’apprentissage de nouvelles connaissances joue donc un rôle essentiel pour innover. On distingue alors : 

  • l’apprentissage par exploration : l’entreprise recherche dans de nouveaux domaines. Ce type d’apprentissage peut permettre d’explorer de nouveaux domaines par expériences successives; 
  • l’apprentissage par exploitation : l’entreprise poursuit des trajectoires passées en cherchant à les améliorer. Cet apprentissage peut être routinier. Il est à la base d’une courbe d’apprentissage qui fait augmenter la productivité avec l’expérience.


3.2. Stimuler la créativité pour innover

Si la créativité joue un rôle important pour innover, alors il faut la stimuler.

Découvrez ici des vidéos générales qui introduisent le contenu détaillé de ce que nous développerons dans le bloc 2 de ce cours.

Stimuler la création pour innover

S'inspirer des artistes pour innover

Mettre la créativité au coeur de sa stratégie