Economie de l'innovation, de quoi parle-t-on ?

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Cours: Innovation : théories et pratiques
Livre: Economie de l'innovation, de quoi parle-t-on ?
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Date: dimanche 1 septembre 2024, 11:26

Description

Cette partie va vous permettre de vous mettre en route pour découvrir les concepts clés de l’innovation. Ce terme est, vous le verrez, un terme polysémique (qui a plusieurs sens). C’est un terme relativement nouveau dans l’histoire alors qu’il renvoie à des réalités beaucoup plus anciennes. Aujourd’hui, c’est une notion assez stable qui renvoie toutefois à des réalités très différentes.

1. Introduction

Cette première partie va vous permettre de vous mettre en route pour découvrir les concepts clés de l’innovation. Ce terme est, vous le verrez, un terme polysémique (qui a plusieurs sens). C’est un terme relativement nouveau dans l’histoire alors qu’il renvoie à des réalités beaucoup plus anciennes. Aujourd’hui, c’est une notion assez stable qui renvoie toutefois à des réalités très différentes.



Innovation





2. Ne pas confondre invention et innovation

Il ne faut donc pas confondre inventer et innover

L’invention est souvent associée au terme d’innovation car elle apporte de la nouveauté. Ce terme est plus ancien que le terme d’innovation. Nous allons donc le découvrir maintenant.



2.1. L'importance de la notion de nouveauté

 L’invention est souvent associée au terme d’innovation car elle apporte de la nouveauté. Ce terme est plus ancien que le terme d’innovation. Nous allons donc le découvrir maintenant. 

Ne pas confondre invention et innovation

Lorsque les archéologues découvrent Pompéi ils font une découverte qui est qualifiée d’invention. Depuis les encyclopédistes et durant tout le 19ème siècle, c’est le terme d’invention qui domine souvent, associé au terme découverte. Ce sont donc les inventeurs qui sont mis en avant.

Ce qui différencie le terme d’invention de celui d’innovation aujourd’hui c’est qu’un inventeur trouve quelque chose de nouveau mais peut ne pas innover si sa nouveauté ne produit pas de valorisation économique.

Depuis la révolution industrielle, les inventeurs ont souvent fait l’objet d’attentions :
Nous pouvons prendre l’exemple du concours Lépine créé en 1901 en France par le préfet Louis Lépine. Des inventions primées depuis cette date n’ont pas connu de valorisation économique : dispositif pour enlever les bas et chaussettes sans se baisser (1970), lit à pistons (1995). Elles sont restées à l’état d’invention. Certaines ont franchi le cap de la commercialisation : Jeu des 1000 Bornes, bac riviera, moulinette presse-purée, elles sont devenues des innovations.

Inventer et innover sont donc des concepts très différents : de nombreuses inventions n’arrivent pas jusqu’à la valorisation économique (distinction due à Joseph Schumpeter, économiste). Une innovation s’appuie sur l’invention mais toutes les inventions n’aboutissent pas à des innovations (voir les exemples du concours Lépine).

Les inventions peuvent être protégées par des règles de propriété intellectuelle et non les innovations. On parle de brevet d’invention qui protège les inventeurs et non les innovateurs.


2.2. L'exploitation des failles du marché

Les failles du marché expliquent aussi l’innovation (Arrow 1962). 

En effet, le fait que des zones de marché sont inexploitées incitent les acteurs à innover.

L’innovation est un bien économique qui peut être public (ex:logiciel libre) ou privé (logiciel privatif). On distingue donc l’innovation ouverte (open innovation) de l’innovation fermée qui est protégée et appropriée par les acteurs.

Il existe donc des tensions entre:

  • L’innovation et l’appropriation des bénéfices
  • L’intérêt collectif de la diffusion d’une innovation et l’appropriation des bénéfices privés

 Il existe aussi des avantages (risques) de la firme innovante:

First mover : l’entrée en premier sur un marché peut donner un avantage concurrentiel

Il peut exister des avantages en terme de courbe d’apprentissage. Le premier entrant apprend plus vite sur le marché

  • Il peut acquérir une réputation positive, du prestige
  • Il peut installer ses  effets de marque (Apple)


3. Les autres sciences de l'innovation: la sociologie

Le terme d’innovation est un terme très répandu dans les sciences sociales qui ont largement enrichi la connaissance de ce phénomène. La sociologie s’intéresse aux conditions socio-économiques ou scientifiques d’apparition des innovations.



3.1. De l'invention à l'usage

L’informatique, Internet, la pilule contraceptive sont issues d’inventions techniques ou scientifiques. Elles ne constituent des innovations que parce qu’elles ont induit une transformation des usages sociaux. L’innovation réside dans cette articulation entre l’univers de la découverte et celui de la logique sociale ou marchande.

Ce passage de l’invention à l’innovation, ou pour la sociologie, le passage de l’invention à l’usage ne va pas de soi. Au Moyen Âge, la charrue à roues ne s’est développée que très lentement, parce que son usage se heurtait à des obstacles culturels et juridiques. Par exemple, elle exigeait des champs ouverts, ce qui signifiait de toucher à la structure des droits de propriété. Aujourd’hui, la diffusion des OGM se heurte aussi à des obstacles plus sociaux que technologiques. Dans ce dernier exemple, la sociologie étudie les controverses qui peuvent limiter la diffusion d’une innovation. Ceci a été développé en France par Michel Callon qui s’intéresse au cheminement du processus d’innovation et aux controverses éventuelles de celui-ci.

Ces travaux ont été particulièrement portés par le Centre de sociologie de l’innovation (CSI) :

Le thème de la démocratie technique et de l’engagement des groupes concernés dans les activités et les débats scientifiques et techniques est un thème central au CSI. Ces travaux portent sur l’« expertise profane » (ONG ou collectifs de patients, usagers, citoyens…). [leur création, leur stabilisation, leur transformation] est le résultat des actions entreprises par une multiplicité d’acteurs aux démarches et intérêts hétérogènes.

La sociologie s’est intéressée à la variété des acteurs concernés par la formation des marchés, au rôle central des dispositifs techniques et des savoirs scientifiques, à l’importance des pratiques d’expérimentation et au processus de qualification des biens et des services. Ici, l’innovation est façonnée par les marchés et façonne aussi les marchés.

De fait, la sociologie de l’innovation parle de valeurs sociales. Une innovation est souvent portée par un discours idéologique de justification. Écoutez les discours qui accompagnent le nucléaire, les OGM ou les discours sur le transhumanisme, vous verrez toute leur dimension idéologique.

Ceci montre que l’innovation est aussi un processus de création et de construction de sens. L’homme crée pour des raisons qui lui sont propres.

Les découvertes de Marie Curie sur la radioactivité avaient des objectifs médicaux, un sens… celui-ci a bien sûr été détourné avec la bombe atomique, ce qui explique que les descendants de Marie Curie s’opposèrent à ce détournement des recherches vers des buts de destruction. La sociologie ici va permettre de repérer le sens associé aux innovations et parfois les controverses qui en découlent.

Tout n’est pas affaire de bonnes intentions ou de participation. Les rapports sociaux sont faits aussi de controverses et de conflits. Les choix d’innovation mettent en ordre le monde.


3.2. Les usages au coeur de l'innovation

Il est un cimetière bien rempli, c’est celui des innovations qui n’ont jamais trouvé leurs usagers. Même des grandes firmes comme Google arrêtent périodiquement des développements de logiciels car ils ne correspondent pas aux usages. Vous avez peut-être une idée mais celle-ci doit être confrontée aux besoins des usagers et peut-être radicalement se transformer. Nous ne parlons pas ici encore de commercialisation mais de conception tournée vers et conçue avec les utilisateurs.



4. Les autres sciences de l'innovation : l'histoire

L’analyse des techniques est une discipline récente qui a connu ses plus grands développements au XXe siècle, après la crise de 1929, à partir du moment ou la question technologique est devenue centrale dans les sociétés contemporaines.


4.1. L'importance des analyses socio-techniques de l'innovation


L’analyse des techniques est une discipline récente qui a connu ses plus grands développements au XXe siècle, après la crise de 1929, à partir du moment ou la question technologique est devenue centrale dans les sociétés contemporaines.


La vision historique de l'innovation

L’histoire a été un des premiers domaines des sciences sociales à s’intéresser aux innovations dès le XIXème siècle. Les historiens seront fascinés par la puissance, mais aussi la brutalité du machinisme de la révolution industrielle. Mais celles-ci ne constitueront pas un objet d’études particulier. Il faudra attendre l’entre-deux-guerres et la crise de 1929 pour voir émerger cette discipline - l'Histoire des techniques - avec notamment les travaux de Bertrand Gille sur les systèmes techniques. 

Les travaux de Kondratiev, les intuitions de Veblen, mais surtout Joseph Schumpeter ont permis de mettre l’analyse des techniques au cœur de l’analyse des systèmes techniques. 

Ce n’est toutefois que dans les années 80 que cette histoire se développe vraiment. Jusqu’alors, elle reste internaliste, c’est à dire que les chercheurs s’intéressent à une technique particulière et à ses évolutions techniques sans analyser la place de cette technique dans l’évolution du système économique. L’approche internaliste avait dominé les années 1950-1960 avec les œuvres monumentales dirigées par Charles Singer ou Maurice Daumas. 

Lorsque les chercheurs s’intéressent aux conditions sociopolitiques de développement des techniques, l’approche, plus large, est alors qualifiée d’externaliste. 

Dès le milieu des années 1980, le System Dynamic Group du MIT avait revisité l’approche schumpétérienne pour expliquer la crise des années 1970 et annoncé une reprise économique lorsque les technologies, alors embryonnaires, seraient effectivement développées. 

Jacques Ellul, dès les années 1950, a placé la technique au cœur de ses analyses sociotechniques. En 1977, il définissait le « système technicien » comme « ensemble d’éléments en relations les uns avec les autres de telle façon que toute modification de l’ensemble se répercute sur chaque élément », et théorisait le passage de la société industrielle à la « société technicienne ». 

Bertrand Gille, en proposant une approche du système technique intégrant les conditions sociales de son existence, montre qu’une technique isolée n’existe pas et qu’elle doit faire appel à des « techniques affluentes ». Bertrand Gille inclut les techniques et leurs liens avec le système économique et social. Avec cette grille d’analyse, il affirma que l’histoire des techniques est une succession de grands systèmes techniques, que certains systèmes sont restés « bloqués », et que la transition d’un système à l’autre est une « révolution technique ». 

Nous retrouvons ici l’idée de succession de grands systèmes technologiques qui aboutissent à des cycles technologiques (cf. Kondratieff). Nous verrons que cette notion est au cœur des débats sur l’innovation. 

Bertrand Gille comme Schumpeter analyse l’histoire comme une succession des « systèmes techniques » qu’il définit comme l’ensemble des cohérences qui se tissent à une époque donnée entre les différentes technologies et qui constituent un stade plus ou moins durable de l’évolution des techniques. 

Ce qui différencie et fait son originalité, c'est que l'adoption d'un système technique entraîne nécessairement l'adoption d'un système social correspondant afin que les cohérences soient maintenues. Le système technique précède le système social et va bouleverser celui-ci. 

Cette idée est particulièrement fructueuse aujourd’hui pour analyser comment les plateformes comme Uber bouleversent le droit social ou comment les algorithmes vont transformer notre société. Dans son analyse historique, il montre aussi l’existence de systèmes techniques bloqués. Les technologies ne parviennent pas à s’imposer du fait des résistances des systèmes sociaux.

Grâce à Bertrand Gille, les historiens vont rencontrer la sociologie avec la notion de Social Construction of Technologies (SCOT). Ils vont chercher à identifier des processus de construction collective des objets techniques, de co-construction des technologies dans des dispositifs sociopolitiques et culturels inscrits dans leurs temporalités. 

Le Centre de sociologie de l’innovation (CSI) de l’École des Mines de Paris a joué un rôle essentiel dans la diffusion de ces approches en France et dans leur critique dans le débat international. 

Tous ces travaux montrent aussi les conflits suscités par l’innovation, et notamment les résistances à l’adoption et à l’appropriation des nouvelles technologies. Ce sont les innovations porteuses de risques qui provoquent les recompositions les plus notables : chimie, hydrocarbures, nucléaire façonnent des territoires à l’échelle des risques qu’elles portent et de leur perception. Percevoir l’histoire des techniques, non par les seuls acteurs, mais par les espaces dans lesquels se déroulent les processus, conduit à identifier aussi de véritables « logiques spatiales de l’innovation », porteuses de tensions et de conflits ( Yannick Lung et Christophe Bouneau - les territoires de l'innovation, espaces de conflits) 

Toute histoire d’entreprise comprend aussi des développements sur l’innovation comme le montrent les très nombreux travaux de Patrick Fridenson



4.2. L'histoire des sciences

Une autre branche de l’histoire s’est intéressée indirectement aux innovations, il s’agit de l’histoire des sciences qui étudie les trajectoires historiques des connaissances scientifiques (concepts, acteurs, institutions…). C’est un domaine de recherche plus ancien qui s’est développé à partir de la redécouverte des manuscrits antiques à la fin du moyen âge. Ce domaine n’a pas toujours été travaillé par des historiens, mais souvent par les scientifiques eux-mêmes qui ont retracé l’origine de leurs travaux. C’est aussi celui des philosophes qui se sont intéressés à la structure de la pensée scientifique comme Gaston Bachelard, Karl Popper ou Thomas Kuhn. En France, ce sont surtout les élèves de Gaston Bachelard qui ont popularisé une histoire conceptuelle des sciences (René Taton et Georges Canguilhem). 

La démarche scientifique joue un rôle central dans l'invention. Vous pouvez regarder la petite vidéo qui suit qui rappelle l'histoire de la démarche scientifique:

Vous pouvez aussi regarder comment certaines grandes inventions doivent au hasard dans les vidéos suivantes: https://www.arte.tv/fr/videos/065448-008-A/les-decouvertes-faites-par-hasard/

5. Les autres sciences de l'innovation : le management et la géographie

Le management de l’innovation étudie les moyens et méthodes qui permettent d’innover à travers la gestion de l’innovation, les méthodes de créativité, la gestion de projets…

La géographie de l’innovation s’intéresse aux lieux de la science et de l’innovation et à l’influence des dimensions géographiques sur la production, la circulation et le partage des innovations. La géographie analyse aussi l’impact spatial et territorial de la production et de la transmission des connaissances et des activités de R&D. Nous verrons que la dispersion de l’innovation et de la connaissance pose de nombreuses questions. 




5.1. Le management de l'innovation

De nombreuses ressources existent sur le management de l’innovation, car cette discipline a des objets divers :

  • Manager la créativité dans les organisations. Einstein disait que la créativité, c’est l’intelligence qui s’amuse. Pour une organisation, il s’agira de savoir capter la créativité organisationnelle pour intégrer les nouvelles idées et les mettre en œuvre. De nombreuses méthodes existent. La plus populaire aujourd’hui est le design thinking qui permet de définir, imaginer, synthétiser, prototyper, tester de nouveaux produits.
  • Management stratégique de la propriété intellectuelle. Protéger ou pas ses produits et méthodes est essentiel. En Chine ancienne, la méthode de fabrication de la soie était un secret très protégé. La formule du Coca-cola fait l’objet aussi d’un important secret industriel. Aujourd’hui, des modalités diverses juridiques de protection existent. On pense bien sûr au brevet d’invention, mais souvent d’autres formes de protection sont utilisées comme le droit d’auteur pour le logiciel par exemple. Comprendre les enjeux économiques de la propriété intellectuelle est donc essentiel.
  • Le financement de l’innovation.  Les sources de financement privé de l’innovation et le rôle du financement public pour l’innovation jouent un rôle central dans la réussite d’une innovation. En phase de démarrage, ce sont les financements publics ou les business angels qui jouent un rôle moteur. Lorsqu’elles sont plus matures, les marchés financiers spécialisés dans les valeurs de croissance (comme le Nasdaq aux États-Unis) peuvent prendre le relais du financement.
  • L’industrialisation de l’innovation.  Comprendre le processus d’industrialisation du concept au prototype est un autre domaine de management. Celui-ci est proche des sciences de l’ingénieur qui ont développé des méthodes de gestion industrielle de l’innovation.
  • Le marketing de l’innovation.  L’émergence du numérique a permit une intégration des consommateurs (usagers) dans la définition des produits. Ceci rompt avec la vision des années soixante dans laquelle le marché était en bout de chaîne du processus d’innovation. Le marketing de l’innovation joue donc un rôle crucial dans ce processus.
  • L’innovation de Business Model. L’innovation transforme les Business Model. Uber a bouleversé le Business Model des taxis par exemple. Les nouveaux business models de l’économie collaborative et du digital montrent bien qu’il faut penser conjointement Business Model et marchés. 

Il existe de très nombreuses vidéos sur ces sujet notamment sur xerfi Canal.

Thierry Burger Helmchen vous présente les grands auteurs du management de l'innovation.

https://www.xerficanal.com/strategie-management/emission/Thierry-Burger-Helmchen-Les-grands-auteurs-en-management-de-l-innovation-a-la-creativite-version-integrale_3502.html


5.2. La géographie de l'innovation

En ce qui concerne la géographie de l’innovation, de très nombreux travaux ont essayé de comprendre ce que le territoire apporte à l’innovation : le rôle de la proximité, des réseaux sociaux, des institutions locales. Connaître le rôle de l’innovation pour le territoire est aussi essentiel : spécialisations, marchés du travail, attractivité, externalités positives…

Quelle est la géographie des collaborations de recherche ? Quels sont les mouvements de localisation et délocalisation des centres de R&D ? Comment s’effectue la mobilité des chercheurs, des innovations ou des connaissances ?

Ces questions sont traitées dans le cours dans sa dernière partie mais vous pouvez visionner deux vidéos de nos collègues André Torre et Jean Benoît Zimmerman sur ces sujets.

https://www.xerficanal.com/fog/emission/Andre-Torre-Relations-de-proximites-et-comportements-des-entreprises_3746781.html

https://www.xerficanal.com/strategie-management/emission/Jean-Benoit-Zimmermann-Le-territoire-dans-l-analyse-economique_3744229.html


6. Les autres sciences de l'innovation : la philosophie

Les liens entre philosophie et innovation sont très complexes, puisque très peu de philosophes s'y sont intéressés.

La philosophie est surtout intervenue dans de grands débats sur ce sujet.




6.1. Des débats philosophiques essentiels

La philosophie est sûrement un domaine qui s’est intéressé par nature au changement mais surtout aux connaissances scientifiques.  Deux philosophes des sciences restent au centre des débats : Karl Popper, qui a notamment déclaré que pour qu'une théorie soit scientifique, il faut qu'elle soit réfutable. Et Thomas Kuhn, qui a expliqué que l'évolution de la science est ponctuée de longues périodes calmes. Les révolutions scientifiques apparaissent lorsque les observations contredisent trop systématiquement les paradigmes en vigueur.   D’autres philosophes comme Michel Serres analysent les évolutions de la connaissance.

Il n’y a finalement que très peu de travaux sur le lien direct entre philosophie et innovations. Les philosophes se sont inscrits dans des débats plus larges que nous allons retracer brièvement ici.

L’innovation en débats : pour ou contre l’innovation  ?

Des débats anciens

Les rapports entre l’innovation et la société ont fait l’objet de nombreux débats notamment lors de la révolution industrielle qui voit naître le machinisme, la division manufacturière du travail et les premiers débats écologiques.
 
Chaque époque a généré les mêmes affrontements entre des techno-enthousiastes qui voient dans la technique un instrument de libération et de développement, et les technophobes, un instrument d’asservissement.

Ce débat est particulièrement virulent aujourd’hui dans notre société structurée par le réseau internet. Les controverses scientifiques sont souvent liées à la commercialisation d’inventions comme les OGM par exemple.

Il faut dire que notre société est soumise à un paradoxe : un développement rapide des technologies et une réflexion critique sur celles-ci qui implique parfois des remises en causes de pans entiers de la pensée scientifique.
 
Tous ces débats nous montrent que l’innovation n’est pas neutre, mais qu’elle est soumise à des rapports de force qui peuvent impliquer des lobbys très organisés comme le lobby des compagnies pétrolières par exemple. Pourtant, opposer l’homme à la technique est un débat vain et inutile. La créativité humaine est liée au caractère particulier de l’homo sapiens qui est aussi un homo faber. Il participe à la création continuelle d’objets nouveaux. Notre espèce est inventive. 

Face à des questions qui se posent à lui à un moment donné de son histoire, l’homme invente des techniques pour résoudre ces difficultés. Les techniques dépendent donc des moments historiques, des conditions sociales et institutionnelles qui président à leur création.

Le débat sur l’innovation est donc un débat ancien, mais qui a changé depuis le 19e siècle.

  • Au début de la révolution industrielle, ce sont les machines qui sont critiquées par les artisans qui voient leur métier transformé
  • Aujourd’hui, les critiques sont plus globales et portent sur de grands macro systèmes techniques (le nucléaire par l’exemple)

L’innovation a toujours été au cœur de l’évolution des sociétés humaines, mais ce terme reste récent

L’âge industriel qui débute à la fin du moyen âge avec la renaissance donne à l’inventeur et au créateur une valeur nouvelle même si parfois il se heurte à l’ordre moral et religieux établi. Progressivement, et à partir de la renaissance, mais surtout à partir du 18e siècle, l’inventeur deviendra le nouveau héros des temps modernes et sera magnifié par la littérature populaire (notamment dans les écrits de Jules Verne au 19e siècle).

Peu d’époques ont connu à la fois un développement rapide d’innovations et une remise en cause globale de celles-ci.

Dans notre société coexistent donc techno-enthousiasme et technocritique. Ce dernier mouvement ne peut pas être rejeté comme le font trop souvent les techno-enthousiastes dans le domaine de l’obscurantisme technologique. Il porte de vrais questionnements :

  • sur la nature des innovations,
  • sur leur impact sur la santé et l’environnement (pesticides, OGM, fracture hydraulique…),
  • sur la liberté individuelle (traceurs gps et informatiques…),
  • sur la survie globale sur notre planète (réchauffement).

Il réinterroge aussi le scientifique sur ses choix y compris dans ses liens avec le politique ou le monde industriel.