Disruption / inversion

1. L'innovation ne relève pas toujours de la haute technologie

1.3. Le cycle de l'industrie

La notion d’innovation disruptive a été proposée par Clay Christensen il y a une dizaine d’années pour préciser comment de nouveaux entrants peuvent remettre en cause la structure d’une industrie, notamment en contestant la domination des firmes leaders et en renouvelant profondément la façon de concevoir un produit ou un service.

L’innovation dans le cycle d’une industrie (le modèle d’Abernathy-Utterback)

Cette approche est complémentaire de l’analyse du cycle d’une industrie proposée par William Abernathy et James Utterback en terme de design dominant. Ce modèle se centrait sur l’émergence d’une nouvelle industrie suite à l’apparition d’un nouveau produit (comme l’automobile à la fin du 19ème siècle).

Schématiquement, l’idée est la suivante : au démarrage d’un nouveau type de produit ou service, les firmes explorent de multiples solutions techniques alternatives (comme le véhicule électrique, à vapeur ou à moteur à explosion). Dans cette phase dite de fluidité, de nombreuses entreprises rivalisent en proposant des solutions nouvelles alternatives. De cette exploration tous azimuts émerge une architecture de produit qui va s’imposer et vers laquelle toutes les entreprises vont converger. C’est ce qu’on appelle le design dominant (comme le moteur à explosion dans le cas de l’automobile).

Une fois l’architecture du produit stabilisé, l’innovation de produit diminue progressivement pour se limiter à des améliorations du design dominant (la sustaining innovation à la Christensen).

La concurrence va se déplacer de la qualité vers les prix.

Ce qui est essentiel pour les firmes devient la maîtrise des coûts de fabrication avec des innovations qui se déplacent dans le processus jusqu’à ce qu’une façon de produire s’impose comme la chaîne d’assemblage de Ford ou la firme multidivisionnelle de General Motors pour l’automobile. A nouveau l’innovation de process (ou organisationnelle) va décliner. Dans cette représentation, fortement inspirée par l’étude historique de l’innovation dans l’industrie automobile des Etats-Unis par Abernathy, l’industrie tend vers une phase dite de maturité où l’innovation devient marginale.

C’était bien le cas aux Etats-Unis dans l’après 2nde guerre mondiale : les changements annuels de modèle se focalisaient sur des modifications mineures, essentiellement esthétiques. Mais au moment de la publication de l’ouvrage d’Abernathy en 1978, voilà que l’innovation redémarre et l’industrie automobile mondiale est bousculée par l’invasion des petites voitures produites par les constructeurs japonais, Toyota, Honda et autres Nissan jusqu’au cœur du marché nord-américain. Ceci conduit Abernathy à introduire le concept de dé-maturité d’une industrie. Cela se poursuit par la montée en gamme des constructeurs japonais qui vont jusqu’à proposer leurs propres marques de luxe comme Lexus pour Toyota.

L’interprétation théorique d’un tel scénario : de nouveaux entrants attaquent le marché par le bas (ici les petites voitures), puis remontent en gamme pour remettre en cause le leadership des firmes installées (ici GM dépassé par Toyota) a été proposée par Clay Christensen.

Références :

Abernathy W.J., The Productivity Dilemma. Roadblock to Innovation in the Automobile Industry, The John Hopkins Press, 1978.

Utterback J.M. and W.J. Abernathy, « A Dynamic Model of Product and Process Innovation », Omega, Vol.3, No.6, 1975, pp. 639-656

Roth F., « W.J. Abernathy et J.M. Utterback - Le cycle des innovations technologiques »

Les grands auteurs en management de l'innovation et de la créativité, coordonné par Th. Burger-Helmchen, C. Hussler et P. Cohendet, Éditions EMS, Paris, 2016, pp.103-120.