Economie de l'innovation, de quoi parle-t-on ?

6. Les autres sciences de l'innovation : la philosophie

6.1. Des débats philosophiques essentiels

La philosophie est sûrement un domaine qui s’est intéressé par nature au changement mais surtout aux connaissances scientifiques.  Deux philosophes des sciences restent au centre des débats : Karl Popper, qui a notamment déclaré que pour qu'une théorie soit scientifique, il faut qu'elle soit réfutable. Et Thomas Kuhn, qui a expliqué que l'évolution de la science est ponctuée de longues périodes calmes. Les révolutions scientifiques apparaissent lorsque les observations contredisent trop systématiquement les paradigmes en vigueur.   D’autres philosophes comme Michel Serres analysent les évolutions de la connaissance.

Il n’y a finalement que très peu de travaux sur le lien direct entre philosophie et innovations. Les philosophes se sont inscrits dans des débats plus larges que nous allons retracer brièvement ici.

L’innovation en débats : pour ou contre l’innovation  ?

Des débats anciens

Les rapports entre l’innovation et la société ont fait l’objet de nombreux débats notamment lors de la révolution industrielle qui voit naître le machinisme, la division manufacturière du travail et les premiers débats écologiques.
 
Chaque époque a généré les mêmes affrontements entre des techno-enthousiastes qui voient dans la technique un instrument de libération et de développement, et les technophobes, un instrument d’asservissement.

Ce débat est particulièrement virulent aujourd’hui dans notre société structurée par le réseau internet. Les controverses scientifiques sont souvent liées à la commercialisation d’inventions comme les OGM par exemple.

Il faut dire que notre société est soumise à un paradoxe : un développement rapide des technologies et une réflexion critique sur celles-ci qui implique parfois des remises en causes de pans entiers de la pensée scientifique.
 
Tous ces débats nous montrent que l’innovation n’est pas neutre, mais qu’elle est soumise à des rapports de force qui peuvent impliquer des lobbys très organisés comme le lobby des compagnies pétrolières par exemple. Pourtant, opposer l’homme à la technique est un débat vain et inutile. La créativité humaine est liée au caractère particulier de l’homo sapiens qui est aussi un homo faber. Il participe à la création continuelle d’objets nouveaux. Notre espèce est inventive. 

Face à des questions qui se posent à lui à un moment donné de son histoire, l’homme invente des techniques pour résoudre ces difficultés. Les techniques dépendent donc des moments historiques, des conditions sociales et institutionnelles qui président à leur création.

Le débat sur l’innovation est donc un débat ancien, mais qui a changé depuis le 19e siècle.

  • Au début de la révolution industrielle, ce sont les machines qui sont critiquées par les artisans qui voient leur métier transformé
  • Aujourd’hui, les critiques sont plus globales et portent sur de grands macro systèmes techniques (le nucléaire par l’exemple)

L’innovation a toujours été au cœur de l’évolution des sociétés humaines, mais ce terme reste récent

L’âge industriel qui débute à la fin du moyen âge avec la renaissance donne à l’inventeur et au créateur une valeur nouvelle même si parfois il se heurte à l’ordre moral et religieux établi. Progressivement, et à partir de la renaissance, mais surtout à partir du 18e siècle, l’inventeur deviendra le nouveau héros des temps modernes et sera magnifié par la littérature populaire (notamment dans les écrits de Jules Verne au 19e siècle).

Peu d’époques ont connu à la fois un développement rapide d’innovations et une remise en cause globale de celles-ci.

Dans notre société coexistent donc techno-enthousiasme et technocritique. Ce dernier mouvement ne peut pas être rejeté comme le font trop souvent les techno-enthousiastes dans le domaine de l’obscurantisme technologique. Il porte de vrais questionnements :

  • sur la nature des innovations,
  • sur leur impact sur la santé et l’environnement (pesticides, OGM, fracture hydraulique…),
  • sur la liberté individuelle (traceurs gps et informatiques…),
  • sur la survie globale sur notre planète (réchauffement).

Il réinterroge aussi le scientifique sur ses choix y compris dans ses liens avec le politique ou le monde industriel.